Pratique rédactionnelle
  1. La souplesse dans les conventions peut laisser une marge plus ou moins grande d’appréciation aux Membres dans la détermination pratique du champ d’application ou ne pas fixer de manière absolue les aspects qualitatifs ou quantitatifs des mesures à prendre. Avant d’examiner les différents exemples répertoriés de cette pratique, il importe de noter d’emblée que l’on y a eu recours seulement dans un nombre limité de cas.
  1. Cette marge de manœuvre est parfois liée aux conditions locales, nationales ou climatiques, le Membre devant prendre des dispositions appropriées «dans toute la mesure où les circonstances locales le permettent»[304], «à moins qu’il n’y ait une coutume locale s’y opposant»[305], ou encore «dans la mesure où les conditions climatiques l’exigent»[306]. D’autres conventions insistent sur des méthodes adaptées aux conditions et usages nationaux[307].
  1. Dans d’autres cas, l’assouplissement est lié aux modes de calcul autorisés visant à déterminer le pourcentage précis à partir duquel il est reconnu que les Membres respectent leurs obligations. Ce mécanisme, surtout lié à la sécurité sociale, a été introduit pour la première fois dans la convention (n° 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952 (art. 9), et a, par la suite, été repris dans les conventions qui ont suivi[308].
  1. Dans de rares cas, des conventions laissent, par les termes qu’elles utilisent, une large marge d’appréciation aux Membres dans la détermination pratique du champ d’application. Par exemple, la convention (n° 172) sur les conditions de travail dans les hôtels et restaurants, 1991, dispose que les Membres peuvent considérer leurs obligations remplies dans la mesure où les dispositions de la convention sont appliquées «à la grande majorité des travailleurs concernés» (art. 8 (2)). Dans le même esprit, la convention (n° 175) sur le travail à temps partiel, 1994, interdit aux Membres d’exclure du champ d’application «un pourcentage indûment élevé de travailleurs à temps partiel» (art. 8).
  1. Les termes utilisés dans d’autres conventions octroient aux Membres une discrétion dans la détermination des mesures qui doivent être prises en exigeant que ces mesures soient «adéquates», «convenables», «appropriées», «pertinentes», «adaptées», «compatibles», «satisfaisantes», ou encore «suffisantes». Cette pratique est courante dans les instruments et, pour mieux comprendre les circonstances où il y est fait recours, l’annexe 7 précise les dispositions des conventions dans lesquelles l’on retrouve ces qualificatifs.
  1. Parfois, l’on renvoie à une notion de praticabilité qui est définie au regard d’expressions telles que «praticable», «réalisable», «raisonnable» et, encore plus fréquemment, «possible». Dans certains cas, ces termes sont cumulés et des expressions telles que dans la mesure où cela est «raisonnable et praticable», «raisonnable et réalisable», ou encore «raisonnable et pratiquement réalisable» sont utilisées[309]. L’annexe 8 recense les utilisations de ces termes.
  1. D’autres conventions, notamment dans le domaine maritime, ont recours à des mécanismes de souplesse fondés sur l’équivalence en ce qu’elles n’imposent pas aux Membres de prendre des mesures d’une nature précise mais reconnaissent au contraire que le Membre a respecté ses obligations dans la mesure où il a appliqué une certaine égalité ou proportionnalité dans leur exécution. Dans ces cas, les conventions exigent que les dispositions prises au niveau national soient «substantiellement équivalentes», «au moins équivalentes», que la protection octroyée soit «non moins favorable» ou que les avantages offerts ne soient, «dans l’ensemble … pas moins favorables»[310].
  1. Dans d’autres cas, une large discrétion est laissée à l’Etat Membre lorsque les conventions font usage de formules de renvoi aux termes desquelles l’on précise que les obligations conventionnelles s’exécuteront «conformément à la législation ou à la pratique nationales», de manière «conforme à la législation et à la pratique nationales» ou «sous réserve de la législation et de la pratique nationales»[311]. Dans ces cas, loin de viser l’instrument ou l’institution par lequel la convention sera appliquée au niveau national (voir ci-dessus la section sur la mise en œuvre au niveau national), ces expressions s’intéressent plutôt au contenu proprement dit du droit et de la pratique nationaux auquel le Membre devra se référer dans l’application d’une convention tel qu’expliqué ci-dessus (voir ci-dessus la section terminologie et définitions). L’expression «conformément à la législation ou à la pratique nationales», ou des expressions similaires, est d’utilisation récente dans les conventions, n’ayant été introduite que dans neuf conventions entre 1957 et 1979[312]. Toutefois, depuis 1981, l’on y a fait recours dans presque toutes les conventions. En raison de la marge de discrétion dont bénéficient les Membres dans ces cas, des garanties minimales, discutées dans la section sur les mesures de sauvegarde, doivent être assurées de manière à sauvegarder l’universalité normative dans le respect des diversités nationales, tels la consultation préalable des organisations d’employeurs et de travailleurs et le respect par la loi et la pratique nationales des normes internationales applicables.
  1. Enfin, la souplesse peut aussi résulter de la conception même du texte, et c’est le cas lorsque l’on adopte une convention qui demande aux Membres d’accepter et de poursuivre certains objectifs déterminés tout en leur laissant une grande liberté pour décider de la nature et de l’étalement dans le temps des mesures à prendre en vue d’atteindre ces objectifs[313]. Dans un instrument récent, l’obligation qui pèse sur le Membre est de fixer lui-même le délai dans lequel il doit prendre les mesures nécessaires[314]. Ces conventions combinent approches prescriptive et promotionnelle. Par exemple, la convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, non seulement requiert la poursuite d’une politique visant à promouvoir l’égalité de chances et de traitement en matière d’emploi et de profession, mais donne une définition précise de ce que constitue une discrimination et énumère une série de mesures à prendre pour appliquer la politique en question. Dans le même esprit, la convention (n° 141) sur les organisations de travailleurs ruraux, 1975, énumère d’abord une série de garanties à accorder aux travailleurs ruraux et à leurs organisations, puis énonce les mesures à prendre par les gouvernements pour encourager et faciliter la création et le développement de ces
    organisations[315].
[304] Voir C117, art. 15 (1).
[305] Ibid., art. 11 (6).
[306] Voir C126, art. 8 (1).
[307] La C140, par exemple, dispose que «[t]out Membre devra formuler et appliquer une politique visant à promouvoir, par des méthodes adaptées aux conditions et usages nationaux et au besoin par étapes, l’octroi de congé-éducation payé» (art. 2). Voir également C156, art. 7; et C166, art. 9.
[308] Voir notamment C121, art. 19; C128, art. 9, 16, 22, 26, 28, 41 et 42; C130. art. 10, 11, 19, 20, 22 et 33; C168, art. 11 et 15.
[309] Se référer à la section sur les clauses fréquemment utilisées pour une discussion de la portée de ces dernières expressions.
[310] Voir notamment les conventions suivantes: C17, art. 3; C24, art. 2 (3); C25, art. 2 (3); C54, art. 2 (4) b); C72, art. 3 (7); C92, art. 1 (5); C106, art. 7 (2); C121, art. 3 (1) et art. 7 (2); C126, art. 1 (7); C128, art. 33 (1); C133, art. 1 (6); C146, art. 9; C147, art. 2; C158, art. 2 (4); C165, art. 7; C185, art. 6 (6).
[311] Voir notamment C106, art. 4 (2); C120, art. 3; C152, art. 6 (2); C155, art. 12; C158, art. 8 (2), art. 12 (1), art. 13 (1) b), art. 14 (1); C161, art. 9 (1), art. 9 (3) et art. 11; C162, art. 19 (1), art. 21 (1); C164, art. 4 d); C167, art. 9; C168, art. 8 (1) (sous réserve de la législation et de la pratique nationales), art. 27 (2); C170, art. 14; C172, art. 4 (2), art. 4 (3), art. 5; C173, art. 1 (1); C175, art. 6 et art. 10; C181, art. 3 (1); C183, art. 5.
[312] On retrouve cette expression ou des expressions similaires dans les C110, art. 1 (2) b); C135, art. 3; C137, art. 1 (2) et art. 3 (1) (3); et C145, art. 1 (2) et art. 4 (1) (3) (utilisent les expressions «définies (ou reconnues) comme telles par la législation ou la pratique nationales», «d’après la législation ou la pratique nationales» ou «modalités que la législation ou la pratique nationales … détermineront»); C129, art. 8 (2); C131, art. 4 (3) b); C150, art. 9; et C152, art. 40 (utilisent l’expression «conforme (ou conformément) à la législation ou à la pratique nationales»); C106, art. 4 (2) et art. 8 (1); C120, art. 3; et C152, art. 6 (2) (utilisent l’expression «conforme à la législation et à la pratique nationales»).
[313] Ces conventions sont parfois qualifiées de «promotionnelles» ou de «programmatoires».
[314] C182, art. 7 (2).
[315] Voir également les C122, C140, C142, C154, C156 et C159.