Mesures de mise en œuvre
Adoption de mesures contraignantes
  1. Les différentes mesures pouvant être prises par les Etats pour appliquer ou faire appliquer les dispositions des conventions et recommandations sont souvent précisées dans les instruments eux-mêmes, bien que cette pratique ne soit pas uniforme[185]. L’énumération de mesures pouvant être prises peut être limitative ou non. L’énumération non limitative est habituellement rédigée en faisant référence à la mise en œuvre de toute manière conforme aux conditions et à la pratique nationales de l’Etat ratifiant la convention[186].
  1. Bien qu’il n’y ait pas formellement de clause type en ce qui concerne les mesures de mise en œuvre ou d’application des conventions, la lecture des dispositions afférentes fait ressortir certains traits récurrents. De manière générale, il est fait presque systématiquement référence à la loi comme moyen prioritaire ou résiduel de mise en œuvre. La méthode législative est prévue par les expressions «législation», «législation nationale» ou «voie législative ou réglementaire»[187]. La mention des autres mesures de mise en œuvre est, quant à elle, plus variable. On retrouve fréquemment les conventions collectives[188] et les sentences arbitrales[189] et plus occasionnellement les décisions judiciaires[190]. Certaines mesures apparaissent ponctuellement, telles l’adoption de recueils de directives pratiques[191], la ratification d’une autre convention de l’OIT, l’adoption d’un accord bilatéral ou multilatéral[192], l’action d’un organisme officiel[193] ou l’adoption d’un règlement d’entreprise ou d’un règlement intérieur[194]. Ces mesures de mise en œuvre sont souvent accompagnées par l’expression «ou toute autre manière conforme à la pratique nationale» ou son équivalent. Celle-ci est parfois complétée par l’obligation de consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs préalablement à la détermination de la méthode ou du moyen d’application conforme à la pratique nationale. En l’absence d’une clause permettant d’élargir le champ des mesures de mise en œuvre admissibles, ces dernières sont limitées à celles énumérées dans les dispositions de la convention.
  1. Certains instruments octroient au mode législatif une valeur de garantie résiduelle[195]. En effet, ils disposent, en des termes substantiellement similaires, que, dans la mesure où les conventions ne sont pas mises en application par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales, de décisions judiciaires ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, elles le sont par voie législative ou réglementaire. Dans ces cas, certaines ajoutent la nécessité de consulter au préalable les organisations d’employeurs et de travailleurs[196].
  1. Enfin, les mesures de mise en œuvre des dispositions d’une convention ou d’une recommandation pouvant être adoptées font souvent l’objet d’une disposition générale applicable à l’ensemble de l’instrument, mais il est fréquent que des dispositions prévoyant des obligations spécifiques prévoient également les mesures par lesquelles ces obligations peuvent être respectées[197]. En cas d’incompatibilité, les méthodes d’application expressément indiquées pour des obligations spécifiques ont préséance sur les autres mesures qui seraient couvertes par une disposition générale contenue dans la même
    convention[198].
[185] Plus du quart des conventions contiennent une disposition à cet égard.
[186] L’alinéa final du préambule de toutes les recommandations adoptées entre 1919 et 1933 mentionne que le texte des recommandations sera soumis aux Membres en vue «de lui faire porter effet sous forme de loi nationale ou autrement».
[187] Voir, par exemple, C171, art. 11 (1); C173, art. 2; et C181, art. 14 (1) (législation); C132, art. 1; C145, art. 7; et C154, art. 4 (législation nationale); C153, art. 12; et C155, art. 8 (voie législative ou réglementaire).
[188] Voir, par exemple, C68, art. 2; C70, art. 10 (1); C82, art. 14 (1) (qui utilise l’expression «accords collectifs») et art. 18 (1) a) (qui utilise l’expression «législation et conventions du travail»); C99, art. 2 (1); C130, art. 23 (7); C137, art. 7; C140, art. 11; C149, art. 8; C164, art. 2; et C172, art. 8 (1).
[189] Voir, par exemple, C106, art. 1; C129 art. 2 (qui spécifie que les termes «dispositions légales» comprennent les sentences arbitrales); C137, art. 7; C140, art. 5; et C153, art. 12.
[190] Voir, par exemple, C132, art. 1; C149, art. 8; C156, art. 9; C164, art. 2.
[191] Voir C115, art. 1, et R114, paragr. 1. La nature de ce type de mesure est toutefois ambiguë en l’espèce, surtout en ce qui concerne son inclusion comme mesure d’application d’une convention. En effet, il est généralement reconnu que ce type de document n’a pas une valeur contraignante, quoique cette conclusion soit difficilement admissible vu le contexte de son utilisation dans la C115, où elle semble être mise sur un pied d’égalité avec la législation. Par ailleurs, la CEACR estime qu’un recueil de directives pratiques auquel il n’est pas donné de valeur contraignante ne suffit pas pour qu’un Etat remplisse son obligation de mettre en œuvre la convention. Voir à cet égard Observation individuelle concernant la convention n° 115, Protection des radiations (Ghana), rapport de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, rapport III (partie 1A), 2003, p. 578, où la CEACR note que «les guides non obligatoires ne sont pas suffisants pour assurer l’application de la convention».
[192] Voir C118, art. 8. Voir aussi R86, paragr. 21.
[193] Voir C146, art. 1.
[194] Voir C156, art. 9. Voir aussi R119, paragr. 1; R130, paragr. 1; et R153, paragr. 1. La référence aux règlements d’entreprise est nettement plus fréquente dans les recommandations que dans les conventions. Pour le règlement intérieur, voir C164, art. 2.
[195] Voir notamment les conventions: C106, art. 1; C132, art. 1; C137, art. 7; C145, art. 7; C153, art. 12; C154, art. 4; C158, art. 1; C171, art. 11 (1).
[196] Voir notamment C171, art. 11 (2).
[197] Voir, par exemple, C178, art. 1 (2): «La législation nationale déterminera quels navires seront réputés navires de mer aux fins de la présente convention» (italiques ajoutés).
[198] En vertu des principes d’interprétation du droit international public, les dispositions spécifiques l’emportent sur les dispositions générales. Voir L’affaire concernant le paiement de divers emprunts serbes émis en France, CPJI, série A, n° 20/21, p. 30.